En mai 2024 a été publiée une nouvelle étude nationale sur les causes de mortalité en période périnatale pour les jeunes mamans, du début de la grossesse jusqu’à un an après l’accouchement. Le suicide est devenu la première cause de mortalité durant cette période. A l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale, faisons un point sur les résultats de l’enquête et voyons en quoi cela peut concerner toute maman handi !
En quoi consiste cette enquête ?
Réalisée par l’INSERM en partenariat avec l’association Maman Blues, association non médicale prévenant les difficultés maternelles, les résultats de cette enquête ont été présentés le 3 avril 2024. L’enquête analyse tous les décès pendant la grossesse, l’accouchement et jusqu’à 1 an après la naissance, entre 2016 et 2018. Pour chaque mort, une enquête a été menée pour vérifier qu’il y avait un lien effectif avec la grossesse, l’accouchement ou le post-partum. Toutefois, les causes de la mort ne sont pas forcément liées à l’obstétrique.
🟪 Évolution des types de causes :
Le suicide devient la première cause de mortalité maternelle : 17 % au total des décès, c’est-à-dire un suicide toutes les trois semaines. La période la plus à risque est de 42 jours après l’accouchement jusqu’à 1 an. Il peut toutefois survenir à n’importe quel moment, dès le début de grossesse.
Les maladies cardiovasculaires sont la seconde cause de mortalité maternelle, possiblement expliquée par l’âge de plus en plus avancé de la grossesse ainsi que par une augmentation des femmes en situation d’obésité.
Les hémorragies obstétricales ont fortement baissé ces quinze dernières années et sont arrivées à une certaine stabilité.
L’analyse des parcours de soin des mamans montre un manque d’accompagnement et de dépistage qui auraient pu fortement prévenir les complications. 60 % des décès maternels sont considérés comme « probablement » (17 %) ou « possiblement » (43 %) évitables. Cette proportion de plus de la moitié des morts maternelles potentiellement évitables montre qu’une diminution de la mortalité maternelle est possible et doit être obtenue, l’objectif étant de prévenir tous les décès évitables.
La réalité est qu’il y a peu de suivi en post-partum, par les médecins ou spécialistes : c’est un grand désert médical, alors que cela est une grande période de vulnérabilité psychique (changement de rythme, perte de sommeil, chamboulements physiques…). Pour toute maman ayant des antécédents médicaux, quels qu’ils soient, une surveillance accrue devrait être mise en place dès le début de grossesse, voire même en pré-conceptionnel.
Quels enjeux pour les mamans handis ?
Au milieu de ces analyses, concernant des mères ayant des antécédents comme celles n'ayant aucun antécédents médicaux, il peut être difficile de s’y retrouver et de savoir concrètement comment cela peut impacter une jeune maman handi.
Une croissance populaire porte l’idée que la grossesse est un facteur protecteur pour les femmes ayant des pathologies chroniques, avec un adoucissement voire une disparition des symptômes le temps de la grossesse.
Toutefois, l’étude avertit du contraire :
“La grossesse et le postpartum sont des facteurs de décompensation possible de certaines pathologies chroniques, notamment psychiatriques, cardiovasculaires et neurologiques. Les équipes en maternités doivent en être conscientes. Une étroite collaboration entre tous les spécialistes impliqués permet d’améliorer la prévention, la détection précoce et la prise en charge des complications.”
La grossesse peut donc venir fragiliser ce qui est déjà précaire chez la future mère, et donc possiblement mettre en difficulté la santé de la personne.
🟪 Manque de moyens / connaissances
Le professeur Patrick Dehail, co-créateur du DU Accompagnement et parcours des personnes en situation de handicap en période périnatale de Bordeaux, souligne dans un article du magazine Ombres et Lumières (n°267) le manque de moyens à disposition des services de santé public, particulièrement en libéral, pour accompagner ces mamans. Les professionnels de périnatalité se retrouvent vite démunis, limités dans l’accompagnement et la prise en charge de leurs patientes concernées. Il relie cette difficulté au manque d’informations disponibles :
“Beaucoup soulignent que le personnel médical est démuni. Celui-ci fait face à un manque de connaissances dans le champ du handicap. Pour cette raison, des maladresses, voire des erreurs peuvent survenir”.
Béatrice Idiard-Chamois, sage-femme en situation d’handicap moteur, propose une consultation d’obstétrique pour les femmes en situation d’handicap moteur et sensoriel à l’Institut Montsouris. Elle déplore la difficulté des spécialistes à voir au-delà de la pathologie, notamment sur le plan du quotidien de maman.
Face aux inquiétudes et questionnements inhérents à toute femme enceinte, une maman handi va devoir partir en quête d’informations en rencontrant de multiples spécialistes, de multiples services… Une véritable chasse au trésor ! Elle aurait dû plutôt bénéficier d’un calme et d’un repos plus adaptés à sa grossesse ainsi qu’à sa pathologie chronique.
Suite à l’étude Handigynéco de 2017, des dispositifs Handigynéco ont émergé à différents endroits en France. Le but étant d’une part former les spécialistes du privé comme du public à l’accompagnement gynécologique comme obstétrique de toute femme handi le nécessitant, et d’autre part d’accompagner ces femmes à trouver l’accompagnement adapté à leurs besoins propres.
🟪 Coordination difficile
L’étude insiste sur l’importance de la prise en charge globale :
“L’échange d’informations et la coordination des soins entre l’équipe de maternité et les autres acteurs de soins est un facteur majeur d’évitabilité du décès chez les femmes atteintes d’une pathologie somatique ou psychiatrique préexistante ou découverte en cours de grossesse. Ils débutent idéalement en préconceptionnel et se poursuivent plusieurs mois après l’accouchement.”
Mais la communication entre services différents, spécialités médicales différentes, centres hospitaliers différents, reste complexe voire impossible. L’argument le plus cité pour expliquer cette difficulté est la crainte de piratage informatique. Toute communication contenant des informations médicales sur un patient doit être sécurisée, mais certains logiciels de communication sécurisée diffèrent selon les centres hospitaliers et les professionnels. Un temps de consultation pluridisciplinaire est souvent privilégié pour y pallier, mais l’inertie pour trouver une date convenant à chaque intervenant rallonge souvent les délais. De plus, il arrive régulièrement que lors de ces synthèses, la future maman ne soit pas conviée, limitant ainsi sa possibilité d’exprimer ses besoins propres et ses difficultés actuelles aux acteurs de sa prise en charge.
🟪 Stigmatisation
Une étude de 2025* sur les préjugés portés par les professionnels de santé sur les parents porteurs de handicap montre que, irrémédiablement, les enfants vont être identifiés par les professionnels comme impactés négativement par le handicap d’un ou plusieurs de ses parents (“Les pauvres enfants, ils n’ont rien demandé”). Cette étude insiste également sur la différence de traitement selon que le parent concerné par un handicap soit le père ou la mère. Une pression supplémentaire va être portée sur la mère, dû aux injonctions sociales inhérentes au rôle de mère, les professionnels allant alors remettre plus rapidement en doute les capacités de la mère que celles du père. La stigmatisation s’avère plus forte concernant les mères atteintes de troubles psychiques (42,7%) que pour celles en situation de handicap moteur (25,5%).
Cette stigmatisation va possiblement fragiliser la confiance de la mère en ses capacités, la pousser à être plus dure envers elle-même. Elle pourrait intégrer cette stigmatisation en finissant par être convaincue que sa parentalité ne pourra qu’être négative, ou alors en renonçant à demander de l’aide, alors même qu’elle en aurait justement besoin en raison de son handicap, afin d’éviter des jugements supplémentaires ou de passer pour une “mauvaise mère”.
* Source : Représentations des professionnels de santé à propos des parents souffrant de maladies ou handicaps de Charline Darmaillacqa, Aude-Clémence Truquina, Sabine De Fougièresa, Emilie Boujuta et Jaqueline Wendland
Comment réagir ?
Face à la situation, on peut être tenté de se décourager ou de désespérer. Mais dans la communauté Mady, on est plus que convaincues qu’au contraire, cela doit nous pousser à militer davantage pour obtenir la vie de famille dont on rêve autant que n’importe quelle autre personne.
Même si les connaissances, les recherches et les moyens médicaux sont encore limités, des moyens alternatifs existent. Voici une petite liste d’outils à mettre dans votre trousse de premiers secours spéciale “post-partum”.
Le 3114 est un numéro national gratuit d’écoute et de prévention des idées suicidaires. Vous pouvez l’appeler 24h/7 et ce sera toujours un professionnel de santé formé qui vous répondra au bout du fil. De plus, même si le numéro est national, les centres d’appel sont ancrés dans les territoires, afin de pouvoir vous aider à vous orienter si cela est nécessaire vers le service spécialisé le plus proche de chez vous. Vous pouvez appeler pour vous en cas d’idées noires, mais aussi pour vos proches dont ça serait le cas. Les professionnels vous aideront à analyser les situations et vous prodigueront des conseils sur comment réagir.
La crise suicidaire est souvent difficile à exprimer. Sentiment de honte, sentiment d’être démuni, peur du jugement et de la réaction des autres… Pourtant, beaucoup sont passés par là, peu importe l’âge ou la situation sociale. Sur le site internet Les Ulysses, vous trouverez des témoignages inspirants de personnes de toutes origines ayant traversés des crises suicidaires et qui s’en sont sortis.
L’échelle d’Edimbourg (EPDS) est un auto-questionnaire qu’on peut mettre en place en période post-partum mais également en période anté-natale pour évaluer rapidement le moral et la santé mentale de la maman. Tout professionnel de santé peut le soumettre à la patiente. Si les résultats de l’EPDS sont élevés, une réorientation vers une prise en charge psychologique de la maman est essentielle. Vous pouvez le passer gratuitement via ce lien, avec la possibilité d’être recontactée par une professionnelle de santé par la suite si cela est nécessaire : https://www.maman-blues.fr/1000-jours-epds-widget/
Mais plus que tout, l’essentiel à retenir est de ne pas laisser traîner ces sentiments négatifs qui pèsent, fatiguent et abîment. Sortez ces mots, ne les gardez pas pour vous. Parlez à votre partenaire, vos proches, vos personnes de confiance.
Si cela est difficile pour vous, vous pouvez bénéficier de groupes de parole gratuits de l’association Maman Blues, en présentiel à travers la France ou en visio, pour échanger librement entre mamans traversant la difficulté maternelle : https://www.maman-blues.fr/
L’association Le Club Poussette permet également de sortir tous les mois entre mamans en post-partum pour se rencontrer, échanger et partager ensemble cette période tumultueuse : https://www.instagram.com/leclubpoussette/?hl=fr
Et peu importe votre maladie ou handicap invisible, peu importe où vous vous trouvez géographiquement, vous avez la communauté Mady à vos côtés, dans les bas comme les hauts, pour pouvoir lâcher un peu de lest, se défouler (mais que le jeudi, n’est-ce pas ?) et pouvoir exprimer librement ce que vivre son post-partum avec un handicap veut dire au quotidien. Car même si notre maternité ressemble à des montagnes russes, au moins on les affronte ensemble !
Pour en savoir plus
Podcast Mères en eaux troubles “Table ronde autour du suicide maternel” https://open.spotify.com/episode/2CZHzNuGLokKhAhmoHhgp8?si=WyDxnslOQIm3Q9fPLYZ5Jg
Podcast Mères en eaux troubles “Handicap, maternité et santé mentale” https://open.spotify.com/episode/2eF7FHhIk1KMwSPAGUDxTS?si=5RfM4x0tSpeApUIDaLyNEA
L’association Maman Blues https://www.maman-blues.fr/
3114, numéro national gratuit de prévention du suicide https://3114.fr/
Les Ulysses - la puissance du récit dans la prévention du suicide https://lesulysses.fr/
Podcast En parler peut tout changer “Prévenir le suicide chez les jeunes mamans” https://open.spotify.com/episode/6gDPPx6p3D5lzAvoNXyqQZ?si=qssl-PRGRYGybj4M48HxTQ
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